Limogeage de Hichem Mechichi : coup d’Etat orchestré par le président tunisien ou pas?

Limogeage de Hichem Mechichi , coup d’Etat orchestré par le président tunisien ou pas

Sous la pression de la rue le dimanche 25 juillet, le président tunisien Kaïs Saïed a procédé à ce que ses opposants qualifient de coup d’Etat. Le Chef de l’Etat a démis de ses fonctions le premier ministre et gelé le parlement pour une période de trente jours. Il prend désormais les rênes du pouvoir exécutif. Le sentiment dans le pays est partagé entre la dénonciation d’un coup d’Etat et l’appréciation d’un acte héroïque du président.

En 2014, trois ans après la révolution populaire qui a chassé Ben Ali du pouvoir, fut adoptée en Tunisie une constitution de compromis qui a établi un système parlementaire mixte, dans lequel le président a comme prérogatives la diplomatie et la sécurité. Au pouvoir depuis 2019, Kaïd Saïed est engagé depuis des mois dans un bras de fer avec le principal parti parlementaire, Ennahdha. Le parti, directement visé par ces mesures, entend ne pas laisser prospérer l’initiative du président tunisien.

Tout commença par des manifestations contre les gouvernants

Le 25 juillet représente le 64e anniversaire de la proclamation de la République en Tunisie. Pour cette fête, plusieurs internautes lançaient des appels à manifester. En effet, les tunisiens étaient exaspérés par les luttes de pouvoir et la gestion contestée de la crise sociale et sanitaire par le gouvernement.

Les conflits entre partis au Parlement, le bras de fer entre le chef du Parlement Rached Ghannouchi (chef de file d’Ennahdha) et le président tunisien Saïed, ont paralysé les pouvoirs publics. Cette situation frustrait davantage la population qui en élisant M Saïed attendait une gestion efficiente du pays. On reproche aussi au gouvernement son manque d’anticipation et de coordination face à la crise sanitaire, laissant la Tunisie à court d’oxygène et avec un taux de décès élevé.

Aussi, des milliers de tunisiens sont sortis dans la rue en dépit du couvre-feu, et d’un important déploiement policier pour limiter les déplacements. Les protestataires ont crié des slogans hostiles à Ennahdha et au Premier ministre Mechichi, scandant « le peuple veut la dissolution du Parlement ». Ils réclamaient aussi un changement de Constitution et une période transitoire laissant une large place à l’armée, tout en maintenant le président Saïed à la tête de l’Etat. Des locaux et symboles d’Ennahdha ont été pris pour cible.Pour rappel, Kaïd Saïed, indépendant des partis politiques, a été élu sur fond de ras-le-bol envers la classe politique au pouvoir depuis 2011.

Tout ceci a conduit à l’acte posé par le président tunisien que d’aucuns ont qualifié de coup d’Etat.

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Limogeage du premier ministre et gèle du parlement

Réuni en urgence avec les représentants du pouvoir miliaire et des forces de police dans la nuit du dimanche, le président Kaïd Saïed a annoncé qu’il démettait de ses fonctions le chef du gouvernement Hichem Mechichi. Le président de la République « se chargera du pouvoir exécutif avec l’aide d’un gouvernement dont le président sera désigné par le chef de l’Etat », a-t-il annoncé. Le président nommera dans les jours à venir un successeur pour qu’il nomme une nouvelle équipe ministérielle.

En ce qui concerne le parlement, le président reconnait que « la Constitution ne permet pas la dissolution du Parlement mais elle permet le gel de ses activités », s’appuyant sur l’article 80 qui permet ce type de mesure en cas de « péril imminent ». C’est pourquoi il en a annoncé, sur sa page Facebook, le gel pour 30 jours. Il a aussi annoncé la levée de l’immunité parlementaire des députés et promis de poursuivre les personnes impliquées dans des affaires judiciaires.

Cette situation inédite ressemble de loin à un coup d’Etat. De plus la constitution prévoit que le président doit en référer à la Cour constitutionnelle pour des décisions aussi extrêmes. Mais pour l’heure, la Cour constitutionnelle n’existe pas en Tunisie.

Ennahdha s’oppose, les tunisiens sont partagés

Ennahdha, parti qui dirige le parlement , a réagi aussitôt après les déclarations du président tunisien, via un communiqué sur sa page Facebook. Il s’agit pour le parti islamiste d’« un coup d’État contre la révolution et contre la Constitution », soulignant que ses « partisans (…) ainsi que le peuple tunisien défendront la révolution ».

Une déclaration contre laquelle, le président tunisien se défend lorsqu’il affirme « ce n’est ni une suspension de la Constitution ni une sortie de la légitimité constitutionnelle, nous travaillons dans le cadre de la loi ». « Selon la Constitution, j’ai pris des décisions que nécessite la situation afin de sauver la Tunisie, l’Etat et le peuple tunisien » avait -il ajouté à l’issue de la réunion

Le chef de l’Etat est même descendu dans la rue sur l’avenue Habib Bourguiba pour inviter ses opposants à bien lire la constitution, nous rapporte franceculture.fr. Le chef de file de Ennahdha, M. Ghannouchi s’est lui rendu devant le Parlement avec des députés d’Ennahdha ainsi que la vice-présidente de l’Assemblée Samira Chaouachi, du parti allié Qalb Tounes. Ils ont tenté d’intégrer le parlement dont l’entrée est bloquée par des militaires.

Et ce lundi, des échanges de jets de bouteilles et de pierres ont eu lieu devant le parlement à Tunis, selon 7sur7. b. Plusieurs centaines de partisans du président tunisien ont empêché les partisans de Ennahdha de se rapprocher de leur chef, qui a observé un sit-in devant la Chambre ce lundi matin. Provoquant des affrontements.

Les sentiments sont mitigés aujourd’hui. Les partis Qalb Tounes et le mouvement islamiste nationaliste Karama, ont condamné les décisions de président tunisien. Dans l’opposition, le Courant démocratique, parti socio-démocrate qui a plusieurs fois soutenu le président Saïed, a rejeté sa prise de pouvoir. Mais impute la responsabilité de « la tension populaire et de la crise sociale, économique et sanitaire et le blocage des horizons à la coalition au pouvoir dirigée par Ennahdha ».

Cette position est également celle de plusieurs tunisiens qui sont descendus dans la rue célébrer la décision de M. Saïed. Ce sont encore eux qui aujourd’hui soutiennent l’armée dans le blocage du parlement. Peut-on parler d’un coup d’Etat ? La réponse n’est pas précise car l’article 80 de la constitution qui parle de mesures exceptionnelles n’est pas clair sur ces mesures. En outre la Cour constitutionnelle qui aurait pu départager les parties, n’existe toujours pas, résultat de cette crise qui dure depuis longtemps.

Et enfin une grande partie de la population soutient la mesure du président tunisien.

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Esso A.