Rupture entre l’Algérie et le Maroc : les envies d’hégémonie au cœur des bisbilles entre les deux frères du Maghreb

Rupture entre l’Algérie et le Maroc , les envies d’hégémonie au cœur des bisbilles entre les deux frères du Maghreb

La rupture entre l’Algérie et le Maroc n’est que la suite logique des décennies de conflit, aussi bien ouvert que latent entre les deux pays. C’est à l’Algérie qu’est revenu l’honneur de porter le coup d’estocade à leurs relations diplomatiques. Mais, les deux voisins, au-delà des coups de pression, évitent de s’asphyxier mutuellement.

En conférence de presse le 24 août, Ramtane Lamamra, le chef de la diplomatie algérienne, a annoncé la rupture des relations diplomatiques avec le voisin marocain. La raison évoquée, les « actions hostiles » toujours menées par le Maroc envers son pays.

La genèse des mésententes

Depuis les indépendances, la rupture entre l’Algérie et le Maroc a souvent été frôlée dans les relations entre les deux pays. Selon le chroniqueur international Karim YAHIAOUI, sur France 24, le Maroc, soutien de l’Algérie dans sa guerre d’indépendance, réclamait des territoires. Il estime qu’ils sont sa propriété historique avant les frontières coloniaux. Chose refusée par l’Algérie qui estimait avoir « payer un lourd tribu » pour la conquête de ces territoires. Ce qui a abouti en 1963 à la « guerre des sables » qui s’acheva sans que le tracé des frontières coloniales ne changeât.

Mais les tensions entre les deux frères vont se poursuivre à propos du Sahara occidental. Territoire désertique et ancienne colonie espagnole jusqu’en 1975, le Sahara fut annexé par le Maroc et la Mauritanie. Mais Le royaume a réussi à le maintenir dans son espace national. Toutefois, l’Algérie, fidèle au principe de décolonisation et d’autodétermination des peuples, a toujours soutenu le Front Polisario, mouvement indépendantiste du Sahara occidental.

Ramtane Lamamra, Chef de la diplomatie algérienne

C’est cette volonté de dominer territorialement et diplomatiquement la région qui est l’éternel pomme de discorde débouchant à la rupture des relations entre l’Algérie et le Maroc.

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Volonté d’hégémonie sur l’Afrique

Le Maroc a, depuis un moment, étendu ses visées sur l’Afrique subsaharienne. Par une diplomatie économique et politique, avec des accords sécuritaires, le royaume a renoué des liens avec la majorité des pays africains. En témoigne son retour au sein de l’Union Africaine (UA) en 2017, trente après l’avoir quitté pour protester contre l’admission de la République sahraouie (RASD) au sein de l’UA.

De plus, ses efforts pour intégrer la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui devraient être accélérés par le lancement de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAF), lui donne plus de poids sur le continent.

Absent de la scène africaine, probablement à cause de la santé de l’ancien président Bouteflika, le pionnier de la libération des peuples africains, essaie de faire son retour sur la scène diplomatique avec son nouveau président Abdelmadjid Tebboune. En effet, l’Algérie s’est tout récemment impliquée dans la résolution de la crise libyenne, et veut devenir l’alternative à la France dans le Sahara.

Roi Mohammed VI du Maroc

Mais le changement de la donne au sein de l’UA avec le statut d’observateur d’Israël a déplu à l’Algérie. Cette situation a davantage terni les relations entre l’Algérie et le Maroc qui est accusé d’avoir soutenu l’entrée d’Israël dans l’UA contre une reconnaissance américaine de sa souveraineté sur le Sahara Occidental. D’autant plus que le royaume a normalisé ses relations diplomatiques avec l’Etat hébreux.

Tout cela combiné aux soupçons de soutien du Maroc et d’Israël au MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie), une organisation indépendantiste, accusée d’être responsable des incendies en Kabylie (région algérienne), ont creusé davantage le fossé entre les deux pays.

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Les échanges économiques préservées dans la rupture entre l’Algérie et le Maroc

Malgré les tensions politiques récurrentes entre les deux pays, leurs échanges commerciaux n’ont jamais cessé. Ramtane Lamamra a même précisé dans son annonce que « les consulats vont poursuivre leur travail [et que] la rupture des relations ne va pas affecter les Algériens résidents au Maroc ni les Marocains résidents en Algérie. »

Selon le journal Jeune Afrique, l’Algérie reste le deuxième partenaire commercial du Maroc en Afrique. Selon les statistiques provisoires, à la fin de 2020, le volume d’échanges commerciaux entre les deux pays a atteint 5,3 milliards de dirhams.

Abdelmadjid Tebboune, Président de l’Algérie

En outre, le Maroc avait annoncé qu’il est favorable au maintien du gazoduc Maghreb Europe, qui relie les gisements algériens à l’Europe via le Maroc et dont le contrat expire en octobre 2021. La montée des tensions entre les deux pays avait fait craindre la non prolongation de ce contrat. Et cette annonce de l’Algérie ne va sûrement pas changer la donne.

Les deux pays sont conscients du dynamisme des échanges commerciales entre eux et leur tension diplomatique ne risque pas de se transférer sur le plan économique au risque de nuire à leurs populations.

Mais les différents coups par personnes interposées (mouvements indépendantistes), ainsi que la volonté d’être incontournable en Afrique, auront sûrement des répercussions au delà de la rupture entre l’Algérie et le Maroc.

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Esso A.